La référence culturelle locale est en émoi depuis que son directeur a découvert l'existence du Code du Travail. "C'est un peu comme le script d'une pièce absurde !" Rencontre.
Thierry, 62 ans, directeur de la Maison des Arts, pensait tout connaître des coulisses du monde du spectacle. Pourtant, d’après nos informations, c’est un tout autre type de dramaturgie qui a bouleversé son Noël cette année. En effet, sous le sapin, entre une écharpe en cachemire et une boîte de chocolat noir, il a reçu un cadeau inattendu : un exemplaire du Code du Travail.
« Je pensais que c’était un concept abstrait, un truc inventé par les syndicats pour faire peur aux patrons dont parlent les ringards pour obtenir des cafés gratuits en réunion », confie-t-il, encore sous le choc. Mais en découvrant l’existence de ce pavé de 3 000 pages, Thierry a réalisé qu’il s’agissait d’un véritable texte, avec des articles, des règles, et même des droits pour les employés. « Autant dire que ça m’a coupé le souffle. »
Jusque là, Thierry pensait qu’un contrat de travail se résumait à deux phrases prononcées à l’embauche : « T’es pris à 10€ bruts de l’heure, commence lundi, ramène ton Tupperware et ne prévoie rien ce week-end ni les 12 prochains jours au cas où on ait besoin de toi. » Désormais, il découvre un monde insoupçonné. « Il y a des lois, des trucs en latin et même un chapitre sur les pauses pipi ! », raconte-t-il, la voix tremblante. « Moi qui pensais que tout se décidait à la machine à café… Ça raconte même qu’on ne peut pas travailler 12 heures par jour sans repos alors que moi je peux rester fastoche 10 heures de suite à lire La Croix, Le Figaro et le programme du festival In d’Avignon ! Et l’artisan turc qui est venu me repeindre la salle de bain tient le coup aussi sans broncher ! »
Un théâtre dans le théâtre
Directeur de la prestigieuse Maison des Arts, une salle réputée pour ses programmations audacieuses à destination des riches soixantenaires et son quota d’heures sup’ officieuses, Thierry était habitué à improviser au quotidien. « Je gère au feeling, je reste enfermé dans mon bureau, je laisse les choses se faire, j’ignore ceux qui demandent à me voir et je descends en retard pour prononcer un discours totalement spontané et je me casse rapidos », explique-t-il. « Mais là, découvrir qu’il y a des lois qui régissent les contrats et les horaires, c’est… c’est révolutionnaire. »
Le premier choc est venu lorsqu’il a découvert un passage sur les intermittents du spectacle : « Alors comme ça, ils ne sont pas juste “contents d’être là pour l’art” ? Ils ont des droits écrits noir sur blanc ?! » s’étonne Thierry, qui jure ne plus jamais envoyer un technicien surdiplômé smicard installer des projecteurs à 3h du matin avec pour seule récompense de ne plus se tromper dans son prénom.
Une performance solitaire
Depuis Noël, Thierry aurait même troqué les scénarios de nouvelles pièces pour son exemplaire du Code du Travail. Installé dans les coursives flambant neuves, il passe des heures à dévorer ses pages, parfois à voix haute, comme une répétition générale, qu’il commente.
« Article L.212-4 : les heures supplémentaires doivent être payées ou compensées. Mais… si tout le monde est bénévole, est-ce qu’on peut contourner ça ? », a-t-il récemment déclamé. Il ne semble donc pas encore arrivé au chapitre qui explique que ce n’est pas très légal de changer de poste sur chaque bulletin de paie pour éviter d’avoir à indiquer une ancienneté.
Dyscalculie
Les intermittents qui travaillent pour la Maison des Arts sont partagés entre incrédulité et soulagement. « On se disait qu’un jour, il finirait par comprendre que le travail ne se paie pas en “exposition culturelle” », raconte Sarah Tattine, une technicienne employée par une société de portage elle-même sous-traitante d’une entreprise d’événementiel qui vend ses services à la Maison des Art. Mais tout le monde ne partage pas cette candeur : « On se demande surtout s’il n’est dyslexique ou dyscalculique pour confondre 35h et 53h par semaine », marmonne Jean-Phil Monslhip le régisseur. D’autres comme Renée Sence espèrent une amélioration : « Maintenant qu’il sait qu’on peut revendiquer des majorations pour les heures de nuit, les réunions de 8 heures pour décider de la couleur des rideaux s’éterniseront peut-être moins et on n’enchaînera peut-être plus le montage d’un plateau dans la foulée de la désinstallation d’un décor ». Mais c’était sans compter sur les rémunérations au forfait annuel, un chapitre que Thierry a déjà appris par cœur.
Une comédie dramatique ?
Touché par cette prise de conscience soudaine, Thierry envisage même d’adapter le Code du Travail en pièce de théâtre. « Imaginez : un drame épique en cinq actes où des employés se battent pour leurs droits. On pourrait appeler ça Les Miser-temps-sup’. »
Quelques lacunes, cependant. À la question : « C’est quoi les Prud’hommes ? », le directeur répond avec enthousiasme : « Une pâtisserie locale, non ? ». Les 16h30 d’amplitude horaire semblent donc avoir encore quelques beaux jours.
Afin de redonner du sens à la vie de ses employés, Thierry a trouvé une solution efficace : « J’ai décidé d’offrir à chacun un mug de la couleur de la maison, noire, comme leur avenir, le respect que leur porte la société et leur âme »
Les intermittents, eux, espèrent qu’il lira attentivement le chapitre sur les conditions de travail et ils songent maintenant à lui offrir la convention collective du spectacle vivant.
S.G. et LPS
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