Un ethnologue porté disparu

Victor De Surgis, un ethnologue parisien venu enquêter sur les coutumes Chablaisiennes, ne donne plus aucune nouvelle : une équipe de la Messagère l’interviewait quelques jours avant sa disparition.

Il était 9h du matin quand nous l’avons rencontré, caché dans un buisson à l’affût des moindres gestes d’un jeune couple installé sur un banc.

Pour lui, rencontrer des Chablaisiens dans leur milieu naturel, c’était comme admirer des aurores boréales pour la première fois. Nous sentions son excitation, celle d’un enfant qui vient tout juste de finir sa cabane : « Regardez ! C’est à ce moment-là qu’elle va lui demander s’il travaille en Suisse ! S’il dit non, elle va se débrouiller pour connaître son nom de famille… Chhhuuuttt… »

Plus tard dans la matinée, nous trouvons l’instant opportun pour lui poser nos questions.

La Messagère : Pourquoi avoir choisi les Chablaisiens pour votre mémoire ?

Victor : Les pygmées étaient déjà pris et il faut bien avouer qu’il y a là un terrain propice à la découverte. Imaginez une seconde, les Chablaisiens ont été coupé du monde pendant des décennies ! J’ai l’impression d’être dans les bottes du premier homme à avoir mis le pied sur l’île de Madagascar.

La Messagère : Vous poussez un peu là… On n’est pas si…

Victor : Mais si ! Il suffit d’attendre la tombée de la nuit pour rencontrer des spécimens hors du commun ! Des fils à papa-hipsters racistes, des punks à chiens de droite et des racailles qui se croient dans “la casa de papel”… Vous vous rendez compte ? A croire que tout le monde est radical ici ! On ne voit plus ça nulle part. Pour eux, l’appartenance sociale a un rôle de canalisateur. Elle sert à la fois de marqueur social et d’exutoire. Allez raconter à vos enfants qu’ils ont le droit de penser par eux- mêmes et vous verrez la tête qu’ils vont faire.

La Messagère : Heu… Oui, OK… Beuhh… Il ne faut pas oublier qu’on est à côté de l’un des pays les plus modernes au monde…

Victor : C’est tout à fait vrai ! Et pour être honnête, ça me rappelle la Corée du Sud et la Corée du Nord.

“Telfisaki ?”

Pendant que nous l’interviewons, nous croisons un autre couple, d’octogénaires cette fois. Ils s’approchent de nous et s’adressent directement à l’ethnologue : “Telfisaki ! Taduterin ! ” L’ethnologue a l’air gêné : « Qu’est-ce que c’est ?… C’est un dialecte ? C’est la première fois que j’entends ça… »

C’est au tour de la dame âgée de l’interpeller : “Telfisaki ! Telfisaki ! Taduterin !”

L’ethnologue semble fasciné par sa découverte et ne fait déjà plus attention à nous.
Notre petite équipe de reportage s’arme de patience afin de poursuivre l’entrevue. L’homme est en pleine effervescence. Il inspecte chaque pot de fleur et se cache dès qu’il croise un autochtone. Deux heures plus tard, nous arrivons enfin à lui arracher quelques mots :

La Messagère : Victor, quels sont les points marquants qui caractérisent les Chablaisiens d’après vous ?

Victor : Votre système politique.

La Messagère : C’est-à-dire ?…

Victor : Vous vivez dans un système féodal, une sorte de confrérie bourgeoise qui décide pour les autres. C’est un subtil mélange entre la timocratie oligarchique et le copinage rural. Tenez, quand vous votez pour quelqu’un, il ne s’occupe que des gens qui ont voté pour lui, non ?

La Messagère : Ah parce que c’est pas comme ça que ça…

Victor : Mais non voyons ! Un élu doit s’occuper des jeunes, des vieux, des riches et des pauvres, etc…. On appelle ça la “re-pré-sen-ta-ti-vi-té” !

La Messagère : Mais ça, c’est partout en France, non ?

Victor : Mmm… Oui, c’est pas faux.

La Messagère : Et puis, nous avons aussi des progressistes et des écolos…

Victor : Oui, vous faites beaucoup de progrès pour éviter le changement. Et vos” écolos” sont, soit “greenwashing de droite”, soit ils voudraient qu’on habite tous dans une grotte. Il n’y a quasiment aucune écologie de terrain. C’est ici un bel exemple du radicalisme dont nous parlions tout à l’heure.

La Messagère : Et bien, merci à vous de nous avoir accordé du temps. Une dernière remarque ?

Victor : Vous avez un beau pays.

Ce seront les derniers mots échangés avec l’ethnologue. Malgré nos recommandations, il nous supplia de lui indiquer la route pour Bernex. Victor De Surgis a disparu depuis maintenant trois jours. Un appel à témoin a été lancé.

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